Droit d'auteur sur un site web : la jurisprudence

Droit d’auteur sur un site web : la jurisprudence

Le principe : une œuvre de l’esprit

Il est aujourd’hui admis qu’un site Internet représente une œuvre de l’esprit (au même titre qu’un livre, une photo, un dessin…), bénéficiant de la protection conférée par l’article L111-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle :

« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

Conséquences :

Cette reconnaissance du droit d’auteur permet au créateur d’un site web :

  • d’engager une action en justice en cas d’exploitation de son œuvre par un tiers sans son autorisation (sur le fondement de le contrefaçon),
  • d’obtenir réparation pour atteintes à ses droits patrimoniaux et moraux.

Conditions :

Pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, cette œuvre doit présenter un caractère d’originalité, c’est-à-dire être empreinte de la personnalité de son auteur.

Deux arrêts récents permettent de mesurer le caractère très subjectif de cette appréciation.

 

L’originalité doit être dégagée des impératifs fonctionnels

Dans la première affaire1, une entreprise qui avait reproduit la combinaison d’éléments composant le site Internet d’une autre entreprise fut condamnée pour contrefaçon, au motif que :

« le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation procède d’une recherche esthétique, nullement imposée par un impératif fonctionnel, qui confère au site une physionomie particulière le distinguant d’autres sites relevant du même secteur d’activité et révèle un effort créatif qui caractérise l’originalité de ce site éligible à la protection par le droit d’auteur instituée au Livre I du code de la propriété intellectuelle »

La Cour d’appel de Versailles a estimé que la condition d’originalité était remplie, par la recherche esthétique opposée à la contrainte fonctionnelle.

 

Le savoir-faire ne constitue pas l’originalité

La seconde affaire2 opposait une graphiste à son ex-employeur, société spécialisée dans la réalisation et la maintenance de sites internet.

Licenciée, la graphiste avait assigné son ex-employeur, en revendiquant :

  • la qualité d’auteur sur les sites Internet créés dans le cadre de son contrat de travail,
  • par voie de conséquence, la rémunération des droits patrimoniaux portant sur ces œuvres,
  • accessoirement, des dommages et intérêts.

A l’appui de sa demande, la salariée a présenté les pages d’accueil et pages intérieures de 66 sites qu’elle avait créés dans le cadre de son contrat de travail, pour le compte d’entreprises commerciales et d’administrations locales.

Dans un premier temps, le Tribunal de grande instance de Rennes a  accueilli favorablement les demandes de la salariée, et condamné son ex-employeur à lui verser diverses sommes.

Mais l’entreprise condamnée ayant interjeté appel de cette décision, la Cour d’appel de Rennes a infirmé le jugement, estimant que le travail réalisé par la salariée n’était pas susceptible d’être qualifié d’œuvre de l’esprit.
De ce fait, elle ne pouvait bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

Pour motiver sa décision, la Cour a d’abord rappelé le principe selon lequel :

« (…) un site internet est susceptible de protection par le droit d’auteur si son créateur démontre que sa facture témoigne d’une physionomie caractéristique originale et d’un effort créatif témoignant de la personnalité de son auteur. »

Avant de rappeler que :

« La technicité fonctionnelle ne peut se confondre avec la créativité et l’originalité qu’impliquent la création d’une œuvre de l’esprit (…) »

Par conséquent, la Cour a estimé que :

  1. Certes, les travaux de la salariée témoignaient d’un savoir-faire et d’une technicité graphique certains, lui assurant une certaine autonomie dans le choix des éléments, des couleurs et des ambiances à mettre en valeur.
    Mais que cette autonomie était limitée par les instructions très précises données par les entreprises clientes de son ex-employeur, quant aux tailles et emplacements des logos, images et caractères d’impression, et au fait que certains graphismes étaient la reprise de graphismes réalisés antérieurement par d’autres infographistes.
  2. La technicité fonctionnelle ne pouvant pas se confondre avec les notions de créativité et d’originalité, la graphiste n’a pas su démontrer que ses pages étaient des œuvres de l’esprit, au regard des conditions posées par le Code de la Propriété Intellectuelle.
    Il en découle qu’elle ne pouvait prétendre à la protection de son travail par le droit d’auteur, ni donc prétendre à la rémunération de ses prétendus droits patrimoniaux.

A l’inverse du cas précédent, la salariée a été débouté de ses demandes en raison de l’absence d’originalité des sites internet incriminés.

Au passage, il est regrettable que dans cette affaire, la Cour se soit bornée à refuser le statut d’œuvre de l’esprit aux créations de la graphiste, s’affranchissant ainsi de statuer sur ses droits de créatrice, en tant que salariée, à l’égard de son employeur.

 

CONCLUSION :
ne pas confondre créativité et originalité !

A la lecture de ces deux arrêts, on peut se demander dans quelle mesure la jurisprudence ne confond pas les notions de créativité et d’originalité.

Car si dans la première affaire, l’originalité est retenue comme révélant l’empreinte de son auteur, rien ne permet de comprendre sur quels critères se fonde l’appréciation de cette originalité.

A l’inverse, dans la seconde affaire, la Cour a expressément refusé d’admettre l’originalité des œuvres, en raison notamment des directives données par les clients de son ex-employeur, pour le compte desquelles les sites avaient été réalisés.

Le rapprochement de ces deux arrêts illustre donc bien les disparités qui peuvent exister dans la reconnaissance ou non de l’originalité, dans l’appréciation souveraines des juges du fond.

On ne saurait donc que recommander aux créateurs la plus grande prudence, avant d’envisager toute action fondée sur une atteinte au droit d’auteur.

Le créateur d’un site internet doit se poser préalablement la question de l’existence de l’originalité des sites qu’il crée, pour son propre compte comme pour celui de ses clients.

 

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1 Cour d’appel de Versailles, 2 juillet 2013, « Vente-Privée.com c/ Club Privé »
2 Cour d’appel de Rennes, 13 mai 2014, « Naviciel c/ Maud R. »