Analyse libre de l’enregistrement à l’INPI des marques
- « Allo quoi » ;
- « Allo non mais allo quoi » ;
- « Allo ! T’es une fille t’as pas de shampoing c’est comme si je dis t’es une fille t’as pas de cheveux ».
Nabilla et le Droit sont sur un bateau…
Les ennuis ont commencé le jour où « intello » est devenu une insulte.
Et chaque jour qui passe nous rapproche davantage du scénario du film « Idiocracy« . Une société où la bêtise est devenue un standard.
Sans transition : « Allô, non mais allô quoi ! », bien sûr vous connaissez.
Soyons bien clairs : le débat sur la personne de Nabilla ne m’intéresse pas outre mesure. Et quand bien même, je préfère le réserver au cadre privé, pour ne pas m’exposer inutilement aux sanctions liées à la diffamation, à l’injure ou au dénigrement.
Vous rappelez-vous ? Les médias avaient annoncé que Nabilla, dans la foulée de sa popularité naissante, avait enregistré cette expression à titre de marque ?
Au-delà de la vacuité qu’incarne pour moi le personnage, j’ai trouvé l’aspect juridique intéressant. Même s’il suscite dans le public moins d’engouement qu’une poitrine siliconée…
Vacuité : État de ce qui est vide. Vide intellectuel, absence de valeur. (Définition du Larousse)
Questions (méta)physiques et juridiques
L’annonce par les médias de cet enregistrement de marque soulève quelques questions légitimes :
- Comment l’expression « Non mais allô quoi ! » a pu survivre aux années 90 ?
- Par quel miracle des neurosciences est-elle parvenue au cerveau de Nabilla ?
Mais surtout, plus sérieusement :
- Nabilla avait-elle le droit de s’approprier une expression du langage courant ?
- L’a-t-elle vraiment fait, ou était-ce une annonce médiatique pour créer du buzz ?
- S’agissait-il d’un brillant coup de génie, de pure stratégie marketing ?
- Enregistrer une marque d’accord, mais pour en faire quoi ?
Peut-on s’approprier une expression du langage courant ?
C’est une évidence pour tout le monde : Nabilla n’a rien inventé. Ca se saurait.
L’expression « Non mais allô quoi », ma sœur l’employait déjà, dans les pires heures de son adolescence, quelque part dans les années 90.
Certes, la bimbo a redonné sa popularité à l’expression, qui s’est répandue dans la société à une vitesse hallucinante, tous âges et toutes catégories socio-professionnelles confondus.
Vous-même qui me lisez, je suis sûr que vous l’avez déjà employée, au moins une fois. Pour vous moquer, pour rigoler avec les copains, juste parce que c’était dans l’air du temps… Allez avouez, ce n’est pas un crime.
Mais soyons sérieux : cette expression, Nabilla avait-elle le droit de se l’approprier ?
Et pour autant, s’agit-il d’une marque valide ?
Rappel : les conditions de validité de la marque
(paragraphe facultatif, je ne vous en voudrai pas de ne pas le lire)
Pour être valable, une marque doit être distinctive, non contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, non déceptive, et libre.
Faute de quoi, même déposée régulièrement, elle peut être contestée et annulée par un tribunal. Cette situation se rencontre principalement dans le cadre d’un procès en contrefaçon, ou de concurrence déloyale.
– caractère distinctif
– La marque ne doit pas décrire à elle seule le produit ou le service, de façon usuelle, banale ou nécessaire. Exemple : pizza, plomberie…
– Elle ne doit pas être imposée par la nature ou la fonction du produit.
– Le caractère distinctif peut être acquis par l’usage.
Enfin si un nom déposé comme marque devient dans le langage courant une appellation commune du produit, la marque perd sa distinctivité et peut être annulée (dégénérescence de la marque).
On cite classiquement l’exemple de la marque « Frigidaire ».
– non contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs
La marque ne peut reprendre des signes symbolisant les attributs de la République (drapeau), ni employer des termes évoquant des activités illicites ou réglementées (drogue, alcool, pornographie, etc.).
– caractère non déceptif
La marque ne doit pas induire le consommateur en erreur, quant aux qualités ou à l’origine du produit ou du service.
Ni constituer une sur-promesse par l’emploi de superlatifs exagérés.
– libre
La marque doit être disponible, c’est-à-dire ne pas être déjà enregistrée ou notoirement connue, dans les classes visées par le dépôt.
Tenter de jouer sur une orthographe différente ou une sonorité voisine d’un concurrent peut s’avérer dangereux : risque de condamnation pour contrefaçon, concurrence déloyale ou parasitisme économique.
Il convient donc de mener une recherche d’antériorité scrupuleuse, pour évaluer les similitudes et la disponibilité de sa marque, avant d’envisager son enregistrement.
Validité de la marque de Nabilla
En l’occurrence, la marque « Allo non mais allo quoi » répond à toutes les conditions de validité :
- Elle est disponible ;
- Elle est conforme à l’ordre public et aux bonnes moeurs ;
- Elle n’est pas déceptive : elle ne nous promet rien ;
- Elle est distinctive : elle n’évoque rien d’usuel ni de banal. C’est rien de le dire… L’aspect fonctionnel, ça se discute : « allô », c’est à peu près ce que font 99% d’entre nous en répondant au téléphone. Et un peu moins qui demandent « quoi ? », parce que ça grésille ou que je passe sous un tunnel, bref.
L’enregistrement des marques « Allo (…) quoi »
Une recherche sur les termes « allô quoi » nous apprend que pas moins de 4 marques ont été déposées simultanément en mars 2013.
Comme cela n’était sans doute pas suffisant, le déposant a enregistré, un mois plus tard, 2 nouvelles marques dans les mêmes classes que les premiers enregistrements, et qui reprennent dans son intégralité la réplique culte de Nabilla :
Bilan : sur 6 marques déposées, pas une seule où « allô » soit orthographié correctement ! (accent circonflexe)
Les enjeux commerciaux de la marque
L’enregistrement d’une marque emporte 3 conséquences majeures au bénéfice de son titulaire :
- Celui-ci peut légitimement commercialiser tous types de produits ou services dans les classes sélectionnées.
- A ce titre, il peut concéder des licences de marque à ceux qui souhaitent s’en servir pour créer et/ou commercialiser à peu près n’importe quoi. L’esprit humain étant plein d’imagination, on peut s’attendre à tout.
- Enfin, il pourra agir en contrefaçon, contre toute entreprise qui aurait l’idée saugrenue d’utiliser cette expression dans les classes visées au dépôt.
« Allo quoi » etc., des marques pour quoi faire ?
Toutes orthographes confondues, les 6 marques déposées ont fait l’objet d’un enregistrement dans pas moins de 11 classes ! (sur 45)
Cela couvre un paquet de secteurs d’activité : de la publicité aux vêtements, en passant par les instruments nautiques (bon OK là j’exagère, c’est la même classe que les appareils photo et les caméras…). Mais curieusement, pas les classes concernant les produits d’hygiène et de beauté !
On peut donc dire que le déposant a visé large.
Au vu du nombre de ces dépôts, il est clair qu’on peut rire de Nabilla, mais que juridiquement, ça ne plaisante pas !
Alors, pas si bête, Nabilla ?
Dans tous les débats passionnés qu’a pu susciter la bimbo, le plus intéressant selon moi est de savoir si finalement, derrière ses frasques médiatiques, ne se cachait pas une femme d’affaires avisée, ou en tout cas bien conseillée.
Je ne me permettrai pas d’en juger.
Mais je note 3 faits intéressants :
1. Je n’ai jamais vu, lu ou entendu Nabilla dire elle-même qu’elle avait déposé ces marques. Ce sont les médias qui l’ont annoncé, reprenant une information initialement lancée par le site Le Petit Musée des Marques.
2. Les médias ont encore bien fait leur travail, se reprenant les uns les autres une info sans la vérifier. Car…
3. L’enregistrement des 6 marques liées à Nabilla a été fait par « La grosse équipe ». C’est-à-dire la société de production audiovisuelle à l’origine des Anges de la télé-réalité, l’émission qui a révélé la bimbo.
Le titulaire de ces marques, ce n’est donc pas Nabilla. Mais la société de production qui l’emploie.
J’ose espérer pour Nabilla que tout cela est bien ficelé par contrat. Sinon j’en connais une qui se réveillera un jour, en se demandant « Non mais allô quoi ?? ».
Parce qu’en dehors du droit des marques, revendiquer un quelconque droit d’auteur sur une expression aussi courante, comment dire… bon courage !
Par contre les gens de « La grosse équipe », visiblement vous avez du mal avec l’orthographe.
Si vous cherchez quelqu’un qui sait écrire, et qui maîtrise aussi la propriété intellectuelle, c’est ici !
« Allo quoi » : une contrefaçon ?
Il se trouve qu’une société d’informatique du Haut-Rhin a enregistré en 2008 la marque « Alloquoi » en un seul mot, assortie d’un logo (<– blague pour faire rire les graphistes), dans 3 classes dont 2 communes aux enregistrements de La grosse équipe.
Alors peut-on parler de contrefaçon, de concurrence déloyale ou parasitisme économique ?
Du fait de leur différence d’objet social, le risque de confusion entre les deux entreprises, me paraît minime, pour ne pas dire inexistant.
Sans préjuger de l’activité et du rayonnement géographique de la société d’informatique du Haut-Rhin, on peut supposer que La grosse équipe n’a pas cherché à profiter de sa notoriété pour détourner sa clientèle…
Mais quand même, c’est un détail amusant.
Bientôt la désuétude ?
Quoiqu’il en soit, une marque qui ne fait l’objet d’aucune exploitation commerciale pendant 5 ans tombe sous le coup de la désuétude.
Et son dépôt initial peut être annulé, sur demande d’un nouveau déposant qui serait légitime à l’exploiter.
En l’occurrence, je fais confiance au titulaire de la marque pour ne pas manquer de l’exploiter. La marque bien sûr…
Sinon, 5 ans, c’est à peu près la durée de vie d’une bimbo, non ?
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Bonus : le choc des Titans
Une vidéo qui est toujours à la fois un bonheur pour moi et beaucoup d’agacement.
Bonheur de voir mon Dieu, mon génie, mon gourou, mon Maître des mots et des calembours, Stéphane de Groodt.
Agacement de le voir sans cesse interrompu par Nabilla, qui ne capte rien, mais qui ne peut pas s’empêcher de la ramener…
Je comprends le besoin d’exister médiatiquement. Et de vendre sa marque de fabrique, la vacuité.
Mais quand même. Quand les choses visiblement nous dépassent… On peut toujours faire preuve d’humilité – à défaut de respect.
Et juste se taire… écouter…
Merci pour cet article éclairé ui démystifie le hasard non hasardeux des buzz les plus intellos qui soient.
Je crois que la partie juridique est vraiment la plus intéressante.
Merci pour ton commentaire, oui il y a des buzz comme ça qui sont savamment orchestrés, et qui pourtant se déballonnent aussi sec.
Faisons juste gaffe à ce qu' »intello » ne devienne pas le futur point Godwin du web 3.0 😉
Merci pour l’analyse du dépôt de la « marque Nabilla », et surtout merci pour le partage de la vidéo de la rencontre « Nabilla – De Groodt »: je ne m’en lasse pas!